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POÈMES DIVERS


LA TÊTE


Les Ombres qui dormaient dans les roseaux de l’anse
S’éveillaient, une à une, et s’étirant, debout,
Sur les berges, au bord du fleuve de silence,
Se tinrent, les pieds nus, dans le rivage mou.

Les enfants qui jouaient sur le sable de cendre.
Le laissèrent couler de leurs doigts entr’ouverts
Et regardaient ma barque oblique rompre et fendre
Le sinistre courant des flots jaunes et verts.

Et sur la proue aiguë, écumante à l’étrave,
Hautain, je me tenais à l’avant, le bras haut,
Portant par ses cheveux tordus à mon poing grave
La tête aux yeux fermés et qui saignait dans l’eau ;

La bouche souriait encor sa rose pâle
Parmi la face exsangue où, claire sur le front,
Deux serpents d’or mordaient l’un et l’autre une opale…
Et ma barque coupait du fer de l’éperon