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Page:Régnier - Les Jeux rustiques et divins, 1897, 2e éd.djvu/290

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LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS


L’eau noire, refluée en serpents de sillage,
Et les Ombres déjà en me tendant les mains
Saluaient le héros du funèbre passage
Et l’étranger venu des antiques chemins.

Les vieillards m’appelaient d’un geste de statue ;
Les femmes se poussaient du coude pour me voir,
Oubliant leur opprobre et qu’elles étaient nues,
Et des enfants fiévreux coupaient des roseaux noirs

Pour chanter mon accueil sur des flûtes nocturnes ;
D’autres cueillaient des fruits aux branches des cyprès
Et les hommes vidaient la poussière des urnes
Dans l’onde horrible à boire et qu’ils puisaient après.

Hélas ! Dominateur des Spectres et des Ombres
Il me fallait, Orphée étrange et souterrain,
Pour traverser le fleuve où toute barque sombre,
Leur offrir à jamais le gage de mes mains ;

Il fallait qu’à mon bras meurtrier je roidisse
Mon sacrilège poing plongé dans les cheveux
De la surnaturelle et terrestre Eurydice
Qui saigne dans l’eau morne où je boirai comme eux ;