Page:Régnier - Les Rencontres de monsieur Bréot, 1904.djvu/259

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coup passé de l’esprit. Il se demandait même comment on peut rester attaché si longtemps à de misérables plaisirs dont il est si aisé de se priver et qui manquent si peu.

Il s’en ouvrit un jour à M. Ravaut. Le petit homme noir le regarda à travers ses besicles. Il était minable et chétif. L’idée que M. Ravaut eût jamais souffert du désir de la chair était singulière. Aussi répondit-il fort doucement à M. Le Varlon de Verrigny :

– Je n’ai jamais eu, monsieur, grand goût à ce qu’on appelle le plaisir et en particulier à celui que l’on prend avec les femmes, et leur société ne m’a jamais beaucoup troublé. Que voulez-vous que je m’intéresse à des personnes aussi vaines et dont presque pas une ne sait l’hébreu, le latin ou le grec et qui n’expriment en langue vulgaire que des pensées sans intérêt. Je n’ai donc guère de mérite à avoir évité leurs embûches, mais si je n’ai point connu cette tentation, le Démon ne m’en a pas épargné d’autres et vous ne doutez pas, monsieur, qu’elles n’aient été grandes puisque j’ai dû chercher contre elles l’abri de ce saint asile.

Et le bon M. Ravaut plongea sa plume dans l’encre comme on plonge ses doigts au bénitier.