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Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/244

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LA DOUBLE MAÎTRESSE

d’une fort belle eau. Pendant que la pierre passait de mains en mains autour de la table, un domestique avait posé devant M. Tobyson un panier de bouteilles de bordeaux.

À ses passages à Paris, M. Tobyson ne manquait jamais de venir voir Mlle Damberville et de lui apporter quelque présent ; aussi lui passait-elle ses bizarreries et ses improvistes, car M. Tobyson était riche et baroque. Il voyageait et on l’appelait Milord, bien qu’il ne le fût pas, son aîné siégeant parmi les pairs du royaume, et lui, cadet, s’étant enrichi par le commerce. Sa fortune faite, il quitta l’Angleterre et n’y remit plus jamais le pied. On le vit à Venise parmi les masques du carnaval, à Vienne et à Varsovie, à Amsterdam. Il parcourait l’Europe d’un bout à l’autre, pour se distraire, se montrant partout amateur de femmes, de pierreries et de vins, partout vêtu de rouge, gigantesque, taciturne, flegmatique et imperturbable.

Il achevait sans mot dire sa troisième bouteille.

— « Certes, disait M. de Bercherolles, nous avons tous aimé, chacun à notre façon, et nous voici tous là, ce soir, et en assez bon état, je puis le dire, bien vivants et en posture de démentir la mauvaise réputation de l’amour. Nous avons tous entendu parler des malheurs qu’il cause et des catastrophes où il mène sans en avoir rien éprouvé de tel. Il faut avouer qu’il nous a singulièrement favorisés et que nous n’avons point à nous plaindre de lui.

— Il est vrai, repartit M. de Clairsilly, que l’amour ne nous a pas nui. Peut-être sans lui,