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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/47

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LE MENDIANT

mendier. Pourquoi ne travaillez-vous pas ? » Quelquefois on les éconduit rudement, d’autres fois on ferme les portes à clef quand on les voit venir sous prétexte qu’on en a peur. Pourtant les vieux mendiants sont doux et bons, et ne jettent jamais de mauvais sorts. Quand on les insulte, ils ne disent rien, ils s’en vont tristement. Ils finissent par connaître les maisons inhospitalières. Ils les reconnaissent à un certain air de parvenu, de mauvais goût, où il y a trop de tapis, trop de tentures, trop de rideaux, trop de dorures, et ils ne s’y arrêtent pas, car les mendiants sont de grands seigneurs qui choisissent leur compagnie.

Ils ont joie à entrer dans les maisons modestes où on les reçoit, où on les fait manger à la table et coucher dans un lit. C’est pourquoi les enfants de ces maisons sont plus forts et plus beaux.

Ils ont grand air ces mendiants qui s’avancent lentement sur la route comme des patriarches. C’est un honneur de leur donner. Il ne faut pas les confondre avec les vagabonds, qui ne sont pas de chez nous, qui souvent ne parlent pas notre langue, marchent vite comme s’ils étaient traqués et ne s’arrêtent que quand ils ont faim, ont de mauvaises lueurs dans les yeux, font aboyer les chiens. Le vrai mendiant a notre accent, parle comme nous, prie comme nous, il est de chez nous.

C’était un de ces vieux mendiants. Il avait bien cinquante ans. Chaque année il passait dans les paroisses du bas du fleuve. On disait qu’il venait de l’ouest de la province, mais personne ne savait d’où il venait. Dans sa jeunesse il était tombé et s’était cassé une jambe. Cette cassure mal soignée n’avait jamais guéri, et il en était resté infirme.

Il était beau ce vieux petit mendiant, lorsqu’il cheminait clopin-clopant sur les routes qui côtoient le Saint-Laurent. Il connaissait tous les détours, toutes les courbes de nos chemins, les paysages qui les bordent, pouvait dire les maisons qui donnent et celles qui refusent leur porte. Chaque printemps c’était une nouvelle joie de partir. La poussière des routes, le grand