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FRIMAS ET VERGLAS

enfant, une petite fille d’un an, qu’ils laissaient à la garde d’une vieille tante qui l’aimait tendrement. Ils espéraient la faire venir plus tard au Canada, si l’avenir leur réussissait. Et ils partirent. La traversée fut assez clémente. Arrivés à Québec, on les dirigea dans la Seigneurie de Bellechasse. Il était assez tôt pour qu’ils pussent faire leur première installation et se protéger contre l’hiver qui approchait. Benoit se bâtit une chaumière d’arbres abattus dans la proche forêt. Elle se composait d’une seule pièce agrémentée d’un foyer, d’un lit dans un coin et d’une table au centre. Sur les murs dans les fentes desquelles s’échappaient des morceaux d’étoupe on pouvait voir quelques images pieuses emportées de France. C’était bien pauvre, mais le ménage Benoit était heureux car c’était plein de promesses. On défricha un morceau de terre pour être ensemencé au printemps.

L’hiver, cette année-là, fut particulièrement rigoureux. L’humble maisonnette ensevelie dans la neige eut à souffrir du froid et de la solitude. La forêt y faisait la nuit à midi, et les bêtes féroces poussées par la faim venaient hurler près de la porte, mais le retour du printemps, l’orgueil de voir leur moisson onduler dans la brise soutenaient l’espérance de cette bonne petite famille. Vers la fin de l’hiver, un voisin qui était veuf mourut subitement laissant un petit garçon d’une douzaine d’années. Benoit l’adopta. L’enfant était éveillé et robuste, il pouvait être utile.

Le printemps fut précoce. On sema. Ce sol vierge rendit au centuple la semence qu’on y avait jetée. Il y eut une telle abondance d’avoine et de blé qu’ils envahissaient presque la chaumière. Elle avait bon air, la petite maison basse, dans cette orgie d’épis jaunissants.

Plusieurs années passèrent ainsi. On élargit les champs, recula la forêt, agrandit et embellit la maison, augmenta le patrimoine : l’aisance était ainsi venue.

Le petit orphelin adopté dans des circonstances si précaires, était maintenant un homme fort et adroit que les gens avaient fini par identifier avec la famille Benoit et ils l’appe-