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Page:Raîche - Au creux des sillons, 1926.djvu/53

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FRIMAS ET VERGLAS

laient tout simplement le petit Benoit. Les époux Benoit avaient songé à plusieurs reprises à faire venir leur fille Marie, mais les événements ne s’y prêtaient pas. La traversée était dangereuse à cause des Anglais qui rôdaient sur la mer.


II


Plus de vingt ans passèrent, la femme Benoit était maintenant bien vieille, minée par les durs travaux de la ferme. Au cours de l’hiver elle fut prise de fièvre et de grande faiblesse. La fièvre, d’abord de peu de gravité, devint plus continue et plus intense. Cette pauvre femme caressait cependant l’espoir impossible de revoir sa fille. Comment ? Elle ne le savait pas. Peut-être par quelque miraculeuse coïncidence. Elle priait, se raidissait contre la maladie, mais son état s’aggravait. Pendant les longues journées, clouée au lit, elle se prenait quelquefois à regarder ses mains décharnées, veinées, aux nerfs saillants et semblait y lire avec angoisse qu’elle ne pourrait pas embrasser sa fille. Elle avait un an quand elle l’avait vue la dernière fois. Qu’était-elle devenue ? Si seulement elle pouvait la voir avant de mourir. Et elle répétait sans cesse : « Mon Dieu, faites-la moi voir, ne fût-ce qu’une heure ». Quelquefois elle était exaucée ; elle avait des rêves charmants où elle voyait sa fille de retour et telle qu’elle l’avait souhaitée. Les réveils emportaient les beaux rêves et la pauvre mourante trouvait le vide, l’isolement, un Océan entre sa fille et elle. Elle mourut un beau matin de mai, pendant que la nature tressaillait d’allégresse à l’œuvre féconde qu’elle accomplissait.

Pierre Benoit manda la nouvelle à sa fille à un bateau qui partait pour la France et la pria de bien vouloir venir remplacer sa mère au foyer par le premier voilier qui appareillerait pour le Canada. Il fallait un été pour que la lettre lui parvînt, elle ne pouvait s’embarquer que le printemps suivant, c’était presque deux ans à attendre l’arrivée de la jeune fille. Pierre Benoit ne devait pas voir cet heureux moment. Une année après la mort