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Page:Raîche - Les dépaysés, c1929.djvu/53

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les dépaysés

bénédicité, et s’asseyèrent. Sur la table, dans la soupière fumait une soupe aux choux ; à côté étaient un plat de pommes de terre fleuries, un gros morceau de lard et une tarte aux pommes. Le père allait découvrir la soupière lorsque la vieille dit :

« À propos, Paul, il y a une lettre pour toi. Le garçon de Pierre Gauthier est allé au village, est arrêté au bureau de poste, et en a emporté une lettre. Marthe, veux-tu aller la chercher, elle est sur la corniche de l’horloge. »

Marthe se leva, prit la lettre et la tendit à son frère. Le père s’était arrêté de servir, et toute la famille, la tête penchée en avant, attendait avec anxiété. Paul lut la lettre tout bas, et la pliant doucement il se dit comme à lui-même :

« Je m’en doutais. »

« Quoi ! reprirent ensemble le père et la mère, ils refusent. »

« Oui, ils refusent mon exemption et me somment de paraître devant le bureau militaire dans deux semaines. »

Le dîner fut tout à coup assombri. On eût pu remarquer que les mains de la vieille mère tremblaient davantage. Et elle se contenta de dire :

« J’avais pourtant bien prié et bien espéré. »

Le repas se continua morne et silencieux. Les paysans n’ont guère de mots dans les grandes circonstances de la vie. Ils se renferment dans leurs chagrins et souffrent tout bas. Après avoir dîné et s’être reposé un peu. Paul amena les chevaux qui se mordillaient entre eux, par taquinerie sans doute, pendant qu’il les attelait à la charrue, et alla labourer. Pendant ces deux semaines qui lui restaient il travailla ferme, voulant finir les semences avant son