Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/170

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ventre, de la tête, si encore je t’ouïs piauler, cocu au diable, je te galerai[1] en loup marin. Vertu Dieu que ne le jetons-nous au fond de la mer ? Hespaillier[2], ho gentil compagnon, ainsi mon ami. Tenez bien là sus[3]. Vraiment, voici bien éclairé et bien tonné. Je crois que tous les diables sont déchaînés aujourd’hui ou que Proserpine est en travail d’enfant. Tous les diables dansent aux sonnettes. »

COMMENT LES NOCHERS ABANDONNENT LES NAVIRES AU FORT DE LA TEMPÊTE.

« Ha ! dit Fanurge, vous péchez, frère Jean, mon ami ancien. Ancien, dis-je, car de présent je suis nul, vous êtes nul. Il me fâche le vous dire, car je crois qu’ainsi jurer vous fasse grand bien à la râtelle, comme à un fendeur de bois fait grand soulagement celui qui, à chacun coup, près de lui crie : « Han ! » à haute voix, et comme un joueur de quilles est mirifiquement soulagé quand il n’a jeté la boule droit, si quelque homme d’esprit, près de lui, penche et contourne la tête et le corps à demi, du côté auquel la boule autrement bien jetée eût fait rencontre de quilles. Toutefois vous péchez, mon ami doux. Mais, si présentement nous mangeons quelque espèce de cabirotades[4], serions-nous en sûreté de cetui orage ? J’ai lu que, sur mer, en temps de tempête, jamais n’avaient peur, toujours étaient en sûreté les ministres des dieux Cabires[5], tant célébrés par Orphée, Apollonius, Phérécydes, Strabo, Pausanias, Hérodote.

— Il radote, dit frère Jean, le pauvre diable. À mille et millions et centaines de millions de diables soit le cocu cornard au diable ! Aide-nous ici, hau, tigre ! Viendra-t-il ? Ici à orche[6]. Tête-Dieu pleine de reliques, quelle patenôtre de singe est-ce que tu marmottes là entre les dents ? Ce diable de fol marin est cause de la tempête, et il seul n’aide à la chiourme. Par Dieu, si je vais là, je vous châtierai en diable tempêtatif. Ici, fadrin[7], mon mignon, tiens bien, que j’y fasse un nœud grégeois. Ô le gentil mousse ! Plût à Dieu que tu fusses abbé de Talemouze[8], et celui qui de présent l’est fût gardien de Croulay ! Ponocrates, mon frère, vous blesserez là. Épistémon, gardez-

  1. Donnerai de la réjouissance.
  2. Chef de nage.
  3. Là-dessus.
  4. Grillades de chevreau.
  5. (Dieux de l’île de Samothrace).
  6. Gauche.
  7. Novice.
  8. Talmont (Vendée) ? jeu de mots entre mousse et talemouze (sorte de pâtisserie).