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chapitre xxii

mains, & plus droict que ne feroient deux cens gumenes ? C’eſt (reſpondit frere Ian) le paouure Diable de Panurge, qui a la fiebure de veau. Il tremble de paour quand il eſt ſaoul.

Si (diſt Pantagruel) paour il a eu durant ce Colle horrible & perilleux Fortunal, pourueu que au reſte il ſe feuſt euertué, ie ne l’en eſtime vn pelet moins. Car comme craindre en tout heurt eſt indice de gros & laſche cœur, ainſi comme faiſoit Agamemnon : & pour celle cauſe le diſoit Achilles en ſes reproches ignominieuſement auoir œilz de chien, & cœur de cerf[1] : auſſi ne craindre quand le cas eſt euidentemment redoubtable, eſt ſigne de peu ou faulte de apprehenſion. Ores ſi choſe eſt en ceſte vie à craindre, apres l’offenſe de Dieu, ie ne veulx entrer en la diſpute de Socrates & des Academicques : mort n’eſtre de ſoy mauluaiſe, mort n’eſtre de ſoy à craindre. Car comme eſt la ſentence de Homere, choſe griefue, abhorrente, & denaturée eſt perir en mer[2]. De faict Æneas en la tempeſte de laquelle feut le conuoy de ſes nauires pres Sicile ſurprins, regrettoit n’eſtre mort de la main du fort Diomedes, & diſoit ceulx eſtre troys & quatre foys heureux qui eſtoient mortz en la conflagration de Troie[3]. Il n’eſt ceéans mort perſone. Dieu ſeruateur en ſoit eternellement loué. Mais vrayement voicy vn meſnage aſſez mal en ordre. Bien. Il nous fauldra reparer ce briz. Guardez que ne donnons par terre.


  1. Cœur de cerf.

    ....ϰυνὸς ὄμματ᾽ ἔχων, ϰραδίην δ᾽ ὲλάφοιο.

    (Homère, Iliade, I, 225)
  2. Perir en mer. C’est Ulysse qui dit cela pendant la tempête (Odyssée, V, 312) :

    Νῦν δέ με λευγαλέῳ θανάτῳ εἴμμαρτο άλῶναι.

    1548 ajoutait : « La raiſon eſt baillée par les Pitagoriens, pour ce que l’ame eſt feu & de ſubſtance ignée. Mourant doncques l’homme en eau (element contraire), leur ſemble (toutefois le contraire eſt verité), l’ame eſtre entierement eſteincte. »

  3. La conflagration de Troie.

    ...O terque quaterque beati,
    Quîs ante ora patrum, Trojæ sub mœnibus altis,
    Contigit oppetere ! o Danaûm fortissime gentis
    Tydide ! mene Iliacis occumbere campis
    Non potuisse tuaque animam hanc effundere dextra ?

    (Virgile, Énéide, I, 94)