Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/217

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» Je vois un peu la ville de Saint-Brieuc, un peu les grands mâts des barques de pêcheurs sur la côte et là-bas… là-bas je vous vois par-delà tout ce qui m’entoure… je vois Paris, l’enfer !…

» Le ciel est bleu, on le dirait lavé chaque matin par les vagues… à l’horizon, il semble sortir de l’eau, limpide et transparent comme un cristal humide. Les oiseaux n’osent plus s’en approcher, ils craignent de le ternir et ils rasent les flots où ils se contentent de le voir se refléter… Pourquoi les oiseaux, surtout les plus blancs, ceux qui scintillent comme de la neige, voient-ils ici très bas ?… Est-ce parce que l’eau contient le paradis ? Mon Dieu ! ce souvenir de ma chute ténébreuse m’obsède encore. Quand je vois l’eau, moi, je ne vois plus que cela.

» Les paysans que je n’avais pas encore vus de près sont de bien braves gens. Ils me saluent, ils me disent que je suis une sainte vierge… et admirent mes cheveux avec des airs de stupeur très drôles… Ah ! s’ils savaient que la dame du pavillon n’est qu’une malhonnête femme !… car je ne suis qu’une femme perdue, moi !…

» À Langarek, il y a une église vieille et mignonne, où je vais le dimanche. Elle conserve le banc des seigneurs, m’a raconté Yvon, comme au temps des rois, et j’ai eu le caprice de m’asseoir à votre place, monseigneur. C’est une stalle toute sculptée devant laquelle se dresse un long christ de pierre donné par vos ancêtres en souvenir d’un heureux mariage.