Aller au contenu

Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

c’est plus beau pour une chèvre. Un effort, le bateau penche…, et Pierrette plonge, puis revient dans un virage d’écume. Sa tête, au ras du flot, agile ses oreilles qui se dressent en croissant de lune pâle. Adieu, Pierrette… J’ai lâché les rames et je regarde, les yeux secs ; il n’y a même plus que mes yeux qui restent secs. Je suis transpercée d’eau, de neige fondue et mes pieds se paralysent dans des chaussures qui se raidissent. Elle a disparu ? non… encore ses oreilles, là-bas, elle ne veut pas se noyer après tant de morts subies… puis un remous la saisit au tournant, des voiles de neige s’épaississent… tout est fini.

Mon bateau fait de l’eau ! Il ne dit rien mais il boit tout doucement avec un petit, glou-glou de satisfaction. Ce bandit de bateau va s’emplir et devenir le bateau ivre. Il titubera et moi j’aurai mal au cœur. Cette aventure est à un mauvais tournant, telle une chèvre sacrifiée. Allons, nous devons nous mesurer avec ce fleuve. Je ne crains pas la fluxion de poitrine, cependant je ne veux pas me baigner aujourd’hui.