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Page:Rachilde - Dans le puits, 1918.djvu/48

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il est clair que je fais partie d’un où l’on vous reçoit sans les parrains accoutumés.

Que l’on juge de ce que peut être pour moi la sensation de la guerre, avec ou sans le bruit du canon ! Je n’ai pas peur, vous n’avez pas peur, personne n’a peur. Seulement je pense, moi, et j’ose le dire, que nous avons tous la terreur d’avoir, un jour, à avoir peur. Étourdie d’abord par la nouvelle qu’il fallait s’en aller sans un motif déterminé, aller devant soi parce qu’ils étaient derrière nous, je suis tombée en une sorte de paralysie de quarante-huit heures, car, certainement, c’est tout ce que je peux fournir en imitation de la mort. Je ne peux pas mourir (ah ! il fallait bien que cela fût impossible !) Puis je me suis reprise à tourner dans un tourbillon d’idées enflammées, de projectiles mentaux qui font de moi un être désemparé, exaspéré, une sorte de bête enragée, muette, que le bâillon des bienséances a rendue aphone depuis longtemps, mais qui guette l’occasion de mordre. Née à la vie de la pensée en 1870, c’est-à-dire quand j’avais dix ans, je me