Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/37

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ton sentencieux du notaire, la disposaient à croire que les liquoristes sont des prêtres et fabriquent des hosties où la divinité est agréablement remplacée par le sucre.

On recevait peu dans la demeure du notaire, mais chaque visite était un nouveau sujet de discussions culinaires. On s’installait, le dimanche, après la messe, dans le salon, un salon lugubre orné seulement d’une suspension en terre cuite, percée de trous qui laissaient choir la chevelure verte d’une plante grasse ayant la transparence du verre filé. La table guéridon, à pieds d’acajou massif, se couvrait tout de suite de flacons bizarres. On servait aux hommes des eaux-de-vie épicées selon les nouvelles formules, aux dames on faisait passer la boîte d’angéliques, les biscuits, les liqueurs douces, en échangeant la plaisanterie d’usage.

— Il vaut mieux payer la note du pâtissier que celle du médecin.

D’ailleurs, aucune imagination ne s’éveillait plus haut que leurs paupières. Tout ce sucre, atténuant les effets des épices et le feu des alcools, leur procurait des griseries onctueuses d’où la politique et l’amour, deux sujets brûlants en province, étaient absolument exclus.

Le capitaine de gendarmerie, l’intime de la maison, de l’air abruti d’une sentinelle qui a froid, dégustait les liqueurs vertes, roses, jaunes, ambrées, comme un bœuf qui aurait bu par mégarde