Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/39

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jambes, n’aimant pas les gêneurs. Nulle poésie ne sortait de cette fillette autre que celle de la brute : les jolis mouvements ou la drôlerie de l’attitude. Déjà très femme, puisque sans penser elle-même, elle faisait penser, et toujours gardant la crainte du mal, à l’état trouble, comme une idée de bête qui voudrait s’émanciper mais qui appréhende les coups, les liqueurs, les bonbons, les jeux, les récompenses, les médailles d’honneur ou les dîners fins, lui semblaient des choses d’autant meilleures qu’elles pouvaient être défendues certains jours. Elle avait remarqué, en jugeant avec sa logique de petit animal rusé, que tout ce qui était très bon s’accompagnait d’une sensation de mal faire. On ne prenait de plaisir bien réel qu’à dissimuler ses jouissances. Mangée en cachette, l’angélique était meilleure que l’angélique du dimanche, prise devant la société, d’un geste retenu de demoiselle raisonnable. Quand le chat de leur bonne volait une viande, à l’office, c’était quelquefois la viande dont on lui avait offert déjà un morceau et dont il n’avait même pas voulu. Laure Lordès savait se taire à propos, refusait une seconde assiette de crème, et, à l’office, allait se courber sur le plat, tirait sa langue en lapant comme un chat.