Page:Rachilde - L’Hôtel du grand veneur, 1922.djvu/42

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poursuivre plus loin une illusion échappant presque toujours en face de la réalité, parfois meilleure.

Céline, égarée dans l’immense caravansérail, a peur, et c’est la peur suprême de l’animal perdu. Elle ne compte plus sur un époux, ni sur un amoureux ; elle a quitté ses parents pour toujours ; elle est une chose flottante, lâchée, laissée. Elle appartient à quelqu’un dont elle porte le nom… sur un collier de perles, bien qu’il n’y soit pas écrit, mais il l’a payé ! Elle est une femme prêtée, vendue ; elle est un échange de fortune, elle représente une valeur marchande. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle l’ignore. Elle attend qu’on revienne en prendre livraison. Elle n’a pas d’autre but qu’attendre une heure dont elle commence à deviner le désenchantement par l’enchantement qu’elle s’en promettait. Tout l’éloigne de plus en plus de cet amour bien raisonnable, bien sage et tellement distant de sa jeune imagination délirante qu’elle songe à s’aller jeter, là en face, dans l’eau sale et pourrie des bassins. Ah ! si elle pouvait s’échapper ou se dominer ? Revenir à la vie normale… Mais elle n’est pas du tout normale, la vie qu’on lui fait mener.