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Page:Rachilde - L’heure sexuelle, 1900.djvu/173

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L’eau du fleuve est lisse comme une plaque de métal et paraît s’enfoncer lourdement en faisant baisser les deux rives sous son poids.

Un chemin de halage, des arbres penchent, et de temps en temps, une péniche passe, chargée de pierres ou de tonneaux, sifflant, soufflant, l’air d’une sirène trop grasse.

J’ai mis mon bras autour des épaules de Reine pour qu’elle ne les hausse pas toutes les cinq minutes en ayant un regard ironique. Je m’appuie un peu. Elle n’a pas la sensation du fardeau et j’ai tout à coup très peur qu’elle soit plus forte que moi.

— Est-ce que je te fatigue ?

— Si tu veux que je te porte…

Je suis furieux, brusquement.

— Reine, tu es une sale bête, et je te défends de me toucher.

Elle se croise les bras sans une syllabe ; elle regarde l’eau et n’a pas entendu.

— Mon Dieu ! Reine, ma petite reine de douleurs ! J’étais fou. C’est moi qui salis tous les reflets, toutes les clartés, tout le ciel avec mes pensées obscures. Pardonne-moi, Reine chérie, ou flanque-moi des gifles, je le mérite. Et tant mieux si tu es la plus forte.