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Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/195

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Eh bien ! cette première lettre-là est tombée dans l’eau !

Je devais l’écrire à… mon mari, dans le temps qu’il fit un séjour en Chine, après notre mariage, moi n’ayant pu l’accompagner parce que j’étais souffrante.

En ce temps-là, je ressemblais à un petit chat sauvage qu’on aurait un peu écrasé en lui marchant dessus, sans le vouloir, et j’aurais souvent désiré qu’on m’achevât, car je ne pouvais m’imaginer que c’était ça le bonheur.

Cependant je croyais bien tendrement qu’il fallait aimer son mari, et je résolus de lui écrire, selon qu’il me l’avait ordonné.

C’était par un beau jour de printemps (comme dans les romans qui commencent), moi, je ne voyais pas le Luxembourg de ma fenêtre, mais ma croisée s’ouvrait sur un jardin rempli de roses, un beau jardin des contes de Perrault, illustré par Gustave Doré. Les abeilles entraient, allaient, venaient, du parfum sous leurs pattes, et elles traçaient des signes d’or autour de moi, me bourdonnant de sortir, de courir, de cueillir des fleurs et de profiter de ma liberté pour en fabriquer le plus rapidement possible… le miel amer de l’expérience ! j’avais, à cette époque-là, dix-huit ans.