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Page:Rachilde - La Jongleuse, 1900.djvu/258

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il me fait peur parce qu’il est immobile, et je n’ai plus envie de le caresser ; quand je me souviens de mon pauvre Éros noir, statue brisée avant moi, j’éprouve une désolation infinie. Un jour, j’avais glissé ma tête dans son bras droit replié, et je n’avais pas pu me dégager. Son bras s’appesantissait sur ma nuque, son bras de pierre. Et il est parti, il s’est effondré… pour un coup d’éventail ! Et mes couteaux, mes lourds couteaux de jongleuse, ne me lèchent plus l’épiderme de leur langue frémissante de passion, ils frémissent de rage entre mes mains impuissantes à les contenir tous. Leur fil d’acier bleu s’irrite. Je ne suis plus la volupté vivante, je suis la volupté qui meurt… Je me sens déchue ! Non, je ne suis plus la déesse, puisque j’ai besoin de tes lèvres d’homme ! Un mari, un amant ? C’est si peu pour une femme qui enfermait dans sa robe hermétique le frisson de tous les amours !

Léon, saisi de vertige, la regardait se débattre contre un ennemi invisible. Qui savait au juste ? Sa propre folie ou un homme, un autre homme que lui, qui l’attendait dans le rêve des îles lointaines… Peut-être le souvenir des abominables caresses dont elle ne croyait pas pouvoir, hélas ! retrouver l’équivalent.

— Mon Éliante folle, tu m’aimeras mieux