Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/175

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éteint et il avait très froid, lui qui ne buvait pas de liqueurs fortes. Il poussa un cri aigu, un cri de jeune chat qu’on agace.

— Ça y est ! soupira la nourrice désolée, il hurlera toute la nuit, je ne pourrai pas dormir. Apporte-le-moi, Mary, je vais le réchauffer dans mon lit. Puis elle ajouta d’une voix inintelligible : Je me sens mal, tout de même, elles m’auront donné du kirsch, moi qui ne peux pas le souffrir, oh !… les bêtes ! elles m’ont donné du kirsch !

Mary apporta l’enfant démailloté avec une répugnance qu’il lui était impossible de surmonter. Elle aurait bien voulu partir, mais elle avait peur de la cuisinière, et comme Tulotte ne pouvait pas la défendre dans l’état où elle se trouvait, elle préférait encore passer le reste de cette horrible nuit assise sur un tabouret contre le mur. L’enfant selon son habitude criait à faire crouler le toit. La nourrice chantonnait, glissant tantôt à droite tantôt à gauche, et quelquefois elle riait d’un bon rire niais, de plus en plus convaincue qu’on lui avait fait boire du kirsch.

Au dehors une aigre bise fouettait la galerie vitrée. Tout le feuillage du jardin étant mort, on apercevait, de la fenêtre, le Rhône roulant avec ses furies coutumières. Mary regardait pensive ce fleuve rempli jusqu’à ses bords, menaçant la douce vallée des roses d’un cataclysme formidable. De pâles étoiles piquaient, de reflets livides, les vagues tumultueuses, et les collines qui entouraient ce coin de