Page:Rachilde - La Tour d’amour, 1916.djvu/246

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coup, une peur inexplicable. Je serrais mon couteau, je serrais mon couteau, en pensant marcher à la bataille.

Toutes les caresses des bonnes putains, là-bas, parmi les fleuves rouges des étoffes, ne m’avaient ni apaisé ni dégrisé ; tout le tapage des joyeux compagnons, les marins du Marceau, me restait au fond des oreilles comme des bruits de guerre. Contre qui, contre quoi fallait-il s’armer, se battre ?… Et très loin, très haut, plus haut que les maisons se rejoignant dans les ténèbres, girait un phare électrique dont les rayons blancs fouettaient le ciel de fouets livides m’éblouissant sans éclairer ma route.

Le plus étonnant, c’est que je me croyais en mer. J’allais au phare d’Ar-Men, je me dirigeais vers la Tour d’Amour, et je traversais l’océan à pied, n’ayant plus besoin de m’embarquer sur le Saint-Christophe. J’entendis qu’on marchait derrière moi.

Un trot de souris. Le pas de quelqu’un qui se dissimule.