Page:Rachilde - Le Démon de l’absurde, 1894.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il faut qu’on y aille, où l’on rencontre la blessure qui vous est destinée depuis des siècles. Il y a la forêt qui vous hante, de loin, et où l’on se pend à l’arbre qu’on croit avoir déjà vu ailleurs, un arbre qui vous tendait ses branches derrière toutes les fenêtres crépusculaires. Il y a le lac perdu au fond du petit val sauvage, la mare verdâtre hérissée de broussailles noires, où l’on se jette avec la presque joie d’avoir enfin trouvé sa tombe à soi, et non pas la tombe pareille à celle du voisin. De toute éternité la place de nos pieds est probablement désignée, mais nous ne venons pas au jour selon notre gré : nos parents s’agitent, s’éloignent, vont, viennent inutilement, cherchent eux-mêmes leur définitive résidence, si bien qu’il faut des hasards multiples pour nous renseigner, nous fournir l’intuition solennelle et nous enlever, comme sur des ailes, jusqu’au pays qui garde, en un champ de blé ou en une rue déserte, les racines mystiques de notre personne.