Page:Rachilde - Le Dessous, 1904.djvu/230

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un homme trop civilisé. Mais on voyait des fruits rangés sur une planche suspendue, hors des atteintes du rat voleur ou des pies qui se permettaient souvent une descente par le plafond. On devinait les soins méticuleux du solitaire pour garer les miettes de son repas de toute profanation. Il avait une serviette pendue devant le pain, comme le rideau d’un temple.

Flora souriait.

Sain et robuste, il dormait nu, n’ayant pas peur de s’enrhumer, sans draps, les pieds seulement couvert du tas de ses vêtements, histoire de les défendre, la nuit, contre toute intrusion malhonnête. Il semblait fait définitivement à sa vie de pénitent du désert… mais ce matin-là il ne se réveillait pas pour l’habituel chapelet de misère à se réciter à lui-même. Il ne pensait ni au feu, ni au pain, ni à la boisson, trop trouble, de son café mêlé de glands grillés, ni à l’heure de la chasse aux légumes perdus. Il dormait, tel un roi, sur son trésor enfin reconquis.

Flora eut un frisson. Sa chair était bleuie par endroit, elle sentait ses reins brisés, sa poitrine creuse. On lui avait vidé le sein de tout le sang de son cœur et la cicatrice, avivée sous le jour, se glissant jusqu’à elle comme la lame d’un cou-