Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/197

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êtres muets ou grognants n’osant plus prononcer des mots humains ; des adolescents couverts de plaies, vêtus de tuniques trouées, boueuses ; des esclaves échappés avec le produit de leurs vols, quelques-uns gardant les cicatrices de la torture, d’autres arborant des costumes étranges, celui-ci un manteau précieux dérobé à son maître, celui-là des peaux de mouton à peine séchées par le soleil.

Les mendiants inquiets se groupaient plus loin pour préserver leurs besaces, jetant des coups d’œil farouches à ces malfaiteurs que nul ne connaissait ; ils serraient leur bâton d’un air effaré, se pressant autour d’un grand aveugle qui les menait d’habitude aux eulogies des jours de fête parce qu’il y voyait mieux que personne. Les pauvres, presque tous de la ville de Poitiers, redoutaient ces nouveaux vagabonds d’aspect peu rassurant qui leur prendraient certainement la dîme de leurs biens dans la ceinture des riches, au besoin tueraient ces riches et tariraient les meilleures sources d’aumône. On les avait réunis dans cet endroit obscur, au cœur de l’immense forêt, afin de leur lancer des sorts, pensaient-ils. Se flairant mutuellement comme des brebis malades, ils rêvaient de miracles ou se donnaient, parfois, de mauvais coups qui empiraient leur misère, mais tous, brigands et men-