Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/281

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— Basine, dit-il tendrement soumis, j’aime ta vertu plus que mon bonheur, mais jure-moi que tu ne réserves pas ton corps pour un prince que tu connais secrètement ?

Elle se pencha sur lui, touchant ses cheveux noirs de ses lèvres, si rapidement qu’il n’en ressentit qu’un effleurement d’aile.

— Voici l’unique baiser que je donnerai jamais à un homme, Harog. Je veux être abbesse parce que mon corps est marqué pour l’éternelle pénitence. Je prierai pour toi, mon frère, et si j’obtiens tous les honneurs que je rêve, tu en auras ta part. Il ne faut pas demander à l’aiglon de ramper sur le sol, aux louves de bercer des enfants… Ma gloire sera peut-être de racheter, par l’abstinence de tout amour terrestre, l’horrible souillure qui me fut infligée. (Sa voix sombra dans un sanglot.) Ne sais-tu pas que, depuis les temps maudits, le démon me visite… Il y a de cela dix années bientôt… et il m’envoie des songes qui me donnent soif de sang fumant ! J’ai l’envie de tuer, de mordre… J’étouffe sous un poids énorme de chair et de fer… Harog ! Le démon habite mon âme et possède mes sens… comprends-tu ?

— Tais-toi, mon frère ! Et il la ramena vers le festin, craignant maintenant d’en ouïr davantage…