Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/335

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sentir caressée par les regards de la foule qui se pressait sur son passage.

Derrière elles, à distance respectueuse et à pieds, marchaient, les bras croisés, deux hommes, dont l’un, le grand diable roux, avait, semblait-il, une terrible envie de dormir.

— Ragna, grondait Harog, fais attention, tu vas cheoir sur la route. Est-ce que tu es ivre ?

— A og ! A us ! Je suis un homme ! Seulement cette nuit de veille m’a rendu fou. Je me tenais des deux mains aux remparts de l’église pour ne pas abandonner mon poste. J’avais l’envie cuisante d’aller voir du côté de sa chambre si elle dormait avec Boson ou Brodulphe. Pour Childéric… je n’y crois pas. Il boit trop. J’aurais le désir d’étrangler quelqu’un, Harog. Me diras-tu lequel ?

Harog répondit, la gorge douloureuse :

— Il ne faut point donner à l’amour plus qu’il ne mérite, Ragna !

— Tu lui as bien donné ta vie, toi, le vertueux !

— Un peu plus, Ragna… mais je ne veux pas lui sacrifier la tienne… puisque c’est moi qui t’ai entraîné dans cette fatale entreprise. Désormais, les nuits de guet, je veillerai à ta place.