Page:Rachilde - Le Meneur de louves, 1905.djvu/78

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brutales des esclaves, les caresses intéressées des soldats, les braves bêtes avaient fourni une lune de galops pour aller retrouver deux pauvres. Ragnacaire, ancien esclave d’une famille gallo-romaine qui avait quitté le Poitou, demeuré sans maître, gardait les porcs du monastère de la Sainte-Croix, n’aimant guère les porcs, mais bien davantage sa liberté. Harog, enfant trouvé sous un chêne, en plein bois, avait poussé tout seul comme une plante sauvage, et, comme il connaissait les différentes vertus de ses sœurs, les herbes folles, on le croyait un peu sorcier tout en le redoutant beaucoup. Il chassait pour la table du comte Maccon, méprisant du reste ce seigneur trop paresseux pour chasser lui-même. Les deux compagnons habitaient ensemble une caverne située dans la forêt, à une portée de flèche de la maison abbatiale de Radegunde. Ne possédant ni habitation vraiment humaine, ni arpent de terrain qu’on pouvait signaler aux viguiers, ils ne payaient ni l’impôt ni la corvée et, sous le rapport des services à rendre aux seigneurs d’alentour, leur mauvaise volonté était notoire. Ils vivaient librement à l’ombre de la grande croix dressée sur le donjon romain de l’abbaye, et quand l’ombre de cette croix s’allongeait jusqu’au sable qui tapissait leur nid de gueux, prenant une forme de sinistre