Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/16

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logique, sans préméditation. Je ne peux marcher que sur mes deux pieds de derrière à cause de mon chemin qui est une corde raide. Je suis là-dessus depuis longtemps, j’ai l’habitude des tours de force, une souplesse de reins d’animal savant, quoique sauvage, qui lui sert surtout à sauver la face… et on n’a pas de loisir, ni le désir, de dévaliser des bijouteries quand on est hanté du seul souci de conserver son équilibre. C’est l’effroi de retomber à quatre partes qui me tient lieu de balancier. Je me connais, je suis excessif. Si je bute sur une passion et me laisse entraîner, je ne m’en relèverai jamais ! Dans le mal comme dans le bien, il faut se tenir droit. C’est ce qui représentait, autrefois, la morale de certains immoraux, autrement dit : la noblesse.

Je suis sorti de cette boutique le cerveau libre. Je venais de m’appauvrir, malgré le proverbe, mais j’éprouvais une joie candide en songeant que je m’étais offert l’occasion de changer un billet de mille pour rembourser ce marchand et qu’il me restait cinq billets de cent, c’est-à-dire quatre fois plus qu’avant. Les sensations du toucher me sont beaucoup plus perceptibles que le sens des affaires et je me félicitais, moi, de cette puérilité pendant qu’on me complimentait sur ma prétendue sagesse : « Comme vous savez