Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/25

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ble. Je réponds au sourire de la femme par un regard dont l’ardeur ne peut pas l’offenser, puisqu’il est le meilleur moyen de la questionner sans l’effaroucher d’un mot malsonnant.

Or, cette femme, très machinalement, comme hypnotisée, balbutie :

— Oui… la Société du Gaz. J’ai perdu le numéro, mais c’est dans ce quartier-ci.

Et elle reprend sa course, ne se doutant même pas qu’elle vient de parler à un étranger sans savoir pourquoi. Elle s’est adressée à lui comme à un ami au courant de toutes ses préoccupations.

Moi, je sais.

Je comprends aussi le danger, l’abîme qui s’entr’ouvre avec cette jolie bouche souriante. C’est l’aventure de la rue, la pire de toutes, celle dont tous mes semblables, gens plus ou moins célèbres, doivent se garer sous peine d’amende ou de chantage ; mais c’est la seule véritablement amusante, qui réunit à la fois le plaisir de la chasse et celui de l’amour, les deux passions dominantes du carnassier humain. Je me moque de la morale, en ce moment, et de mes propres souffrances passées… Seulement, combien de temps cela durera-t-il ? Une heure, un jour, un mois, je vivrai sans le souci de mon équilibre social et, si je tombe d’un peu haut, je saurai rebon-