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Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/75

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C’est son droit, puisque je suis dépensière. Ça se balance. Non, je n’ai plus peur de vous. Ce qui arrive, c’est toujours comme en rêve. D’ailleurs les cartes m’avaient prévenue que je rencontrerais un prince masqué dans un bal de mi-carême.

Elle se blottit au fond de la voiture, s’arrange un manteau avec la fourrure d’ours et tend ses jambes, correctement gantées de soie jaune, hors du fourreau bleu-marine de son tailleur. Il n’y a point de provocation dans ce mouvement spontané. C’est simplement la sensation d’être enfin à l’abri, de ne plus avoir froid, de jouir d’une normale béatitude physique.

Je regarde ses jambes. Jolies, du mollet, un peu fortes de la cheville et le pied trop large. Si on portait encore des bottines, elle serait obligée d’adopter une pointure plus grande que celle de ses souliers découverts. Elles sont tout de même enragées, les filles de notre peuple, de se chausser comme ça ; et avec ces bas universellement de couleur ocre délavée qui leur font, à elles et aux voisines de trottoirs, des jambes de Javanaises ou de Peaux-Rouges, elles vont dans la boue, se mouillent, sont obligées à des raccommodages incessants. Il est vrai que pour Bouchette cela fait partie de son métier, le remaillage.