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Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/76

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Malgré moi, à cause de quelques légères imperfections, je pense aux jambes de l’autre. Je ferme les yeux. Gainées de Chantilly, on voyait la peau transparaître sous la soie et c’était un rayon lunaire traversant un nuage, une clarté se ramifiant sous une fumée. Ces jambes-là, je ne pouvais pas les regarder sans devenir fou. C’était vraiment, pour moi, l’évocation du temple par ses vivants piliers.

La petite, bercée au doux roulement de la voiture, semble dormir. Elle réfléchit, se tâte pour bien se persuader qu’elle a rencontré son prince de mi-carême. Que peut-il se passer dans ce cerveau d’enfant, de fillette de vingt-trois ans, sans expérience et sans instruction, n’ayant pour se défendre contre le vice que sa droiture naturelle ? Moralement, elle ignore tout, physiquement elle n’a pas l’idée d’une puissance de séduction plus élevée ou plus raffinée que celle qu’il lui a fallu subir la nuit de ses noces, légitimes ou non. Je sais bien qu’on accuse, en ces cas d’innocence relative, les images de la rue, les miennes ou celles du cinéma, mais l’ouvrière, la femme du peuple, a-t-elle le temps de les voir, de les étudier, et si elle n’est pas née avec des instincts de luxure, voit-elle toutes les voluptés promises autrement que comme des contes à dormir debout ou des fruits