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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/213

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MONIME, PHARNACE, XIPHARÈS, PHŒDIME.
PHŒDIME.

Princes, toute la mer est de vaisseaux couverte ;
Et bientôt, démentant le faux bruit de sa mort,
Mithridate lui-même arrive dans le port.

MONIME.

Mithridate !

XIPHARÈS.

Mithridate ! Mon père !

PHARNACE.

Mithridate ! Mon père ! Ah ! que viens-je d’entendre !

PHŒDIME.

Quelques vaisseaux légers sont venus nous l’apprendre ;
C’est lui-même ; et déjà, pressé de son devoir,
Arbate loin du bord l’est allé recevoir.

XIPHARÈS, à Monime.

Qu’avons-nous fait ?

MONIME, à Xipharès.

Qu’avons-nous fait ? Adieu, prince. Quelle nouvelle !


Scène V.

PHARNACE, XIPHARÈS.
PHARNACE, à part.

Mithridate revient ! Ah ! fortune cruelle !
Ma vie et mon amour tous deux courent hasard.
Les Romains que j’attends arriveront trop tard :

(À Xipharès.)
Comment faire ? J’entends que votre cœur soupire,

Et j’ai conçu l’adieu qu’elle vient de vous dire,
Prince ; mais ce discours demande un autre temps :
Nous avons aujourd’hui des soins plus importants.
Mithridate revient, peut-être inexorable :
Plus il est malheureux, plus il est redoutable ;
Le péril est pressant plus que vous ne pensez.
Nous sommes criminels, et vous le connaissez :
Rarement l’amitié désarme sa colère ;
Ses propres fils n’ont point de juge plus sévère ;
Et nous l’avons vu même à ses cruels soupçons
Sacrifier deux fils pour de moindres raisons.
Craignons pour vous, pour moi, pour la reine elle-même ;
Je la plains d’autant plus que Mithridate l’aime.
Amant avec transport, mais jaloux sans retour,
Sa haine va toujours plus loin que son amour.
Ne vous assurez point sur l’amour qu’il vous porte ;
Sa jalouse fureur n’en sera que plus forte.
Songez-y. Vous avez la faveur des soldats ;
Et j’aurai des secours que je n’explique pas.
M’en croirez-vous ? Courons assurer notre grâce :
Rendons-nous, vous et moi, maîtres de cette place :
Et faisons qu’à ses fils il ne puisse dicter
Que les conditions qu’ils voudront accepter.

XIPHARÈS.

Je sais quel est mon crime, et je connais mon père ;
Et j’ai par-dessus vous le crime de ma mère ;
Mais quelque amour encor qui me pût éblouir,
Quand mon père paraît, je ne sais qu’obéir.

PHARNACE.

Soyons-nous donc au moins fidèles l’un à l’autre :
Vous savez mon secret ; j’ai pénétré le vôtre.
Le roi, toujours fertile en dangereux détours,
S’armera contre nous de nos moindres discours :
Vous savez sa coutume, et sous quelles tendresses
Sa haine sait cacher ses trompeuses adresses.
Allons : puisqu’il le faut, je marche sur vos pas ;
Mais, en obéissant, ne nous trahissons pas.




ACTE SECOND.





Scène première.

MONIME, PHŒDIME.
PHŒDIME.

Quoi ! vous êtes ici quand Mithridate arrive !
Quand, pour le recevoir, chacun court sur la rive !
Que faites-vous, madame ? et quel ressouvenir
Tout à coup vous arrête, et vous fait revenir ?
N’offenserez-vous point un roi qui vous adore,
Qui, presque votre époux…

MONIME.

Qui, presque votre époux… Il ne l’est pas encore,
Phœdime ; et jusque-là je crois que mon devoir
Est de l’attendre ici sans l’aller recevoir.

PHŒDIME.

Mais ce n’est point, madame, un amant ordinaire.
Songez qu’à ce grand roi promise par un père,
Vous avez de ses feux un gage solennel
Qu’il peut, quand il voudra, confirmer à l’autel.
Croyez-moi, montrez-vous ; venez à sa rencontre.

MONIME.

Regarde en quel état tu veux que je me montre :
Vois ce visage en pleurs ; et, loin de le chercher,
Dis-moi plutôt, dis-moi que je m’aille cacher.

PHŒDIME.

Que dites-vous ? Ô dieux !

MONIME.

Que dites-vous ? Ô dieux ! Ah ! retour qui me tue !
Malheureuse ! comment paraîtrai-je à sa vue,
Son diadème au front, et, dans le fond du cœur,
Phœdime… Tu m’entends, et tu vois ma rougeur.