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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/312

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JOAS.

Hélas ! de tant d’amour et de tant de bienfaits,
Mon père, quel moyen de m’acquitter jamais ?

JOAD.

Gardez pour d’autres temps cette reconnaissance.
Voilà donc votre roi, votre unique espérance.
J’ai pris soin jusqu’ici de vous le conserver :
Ministres du seigneur, c’est à vous d’achever.
Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,
Instruite que Joas voit encor la lumière,
Dans l’horreur du tombeau viendra le replonger :
Déjà, sans le connaître, elle veut l’égorger.
Prêtres saints, c’est à vous de prévenir sa rage ;
Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,
Venger vos princes morts, relever votre loi,
Et faire aux deux tribus reconnaître leur roi.
L’entreprise, sans doute, est grande et périlleuse :
J’attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux ;
Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.
Songez qu’en cet enfant tout Israël réside.
Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler ;
Déjà, trompant ses soins, j’ai su vous rassembler.
Elle nous croit ici sans armes, sans défense.
Couronnons, proclamons Joas en diligence :
De là, du nouveau prince intrépides soldats,
Marchons, en invoquant l’arbitre des combats ;
Et réveillant la foi dans les cœurs endormie,
Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.
Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,
Nous voyant avancer dans ce saint appareil,
Ne s’empresseront pas à suivre notre exemple ?
Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
Le successeur d’Aaron de ses prêtres suivi,
Conduisant au combat les enfants de Lévi,
Et dans ces mêmes mains des peuples révérées
Les armes au Seigneur par David consacrées !
Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.
Dans l’infidèle sang baignez-vous sans horreur ;
Frappez et Tyriens, et même Israélites.
Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
Qui, lorsqu’au dieu du Nil le volage Israël
Rendit dans le désert un culte criminel,
De leurs plus chers parents saintement homicides,
Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides,
Et par ce noble exploit vous acquirent l’honneur
D’être seuls employés aux autels du Seigneur ?
Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre.
Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre,
À ce roi que le ciel vous redonne aujourd’hui,
De vivre, de combattre et de mourir pour lui.

AZARIAS.

Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
De rétablir Joas au trône de ses pères,
De ne poser le fer entre nos mains remis,
Qu’après l’avoir vengé de tous ses ennemis.
Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
Qu’il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse ;
Qu’avec lui ses enfants, de ton partage exclus,
Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus !

JOAD.

Et vous, à cette loi votre règle éternelle,
Roi, ne jurez-vous pas d’être toujours fidèle ?

JOAS.

Pourrais-je à cette loi ne me pas conformer ?

JOAD.

Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer,
Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes.
Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur ;
De l’absolu pouvoir vous ignorez l’ivresse,
Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;
Qu’un roi n’a d’autre frein que sa volonté même ;
Qu’il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
Qu’aux larmes, au travail, le peuple est condamné,
Et d’un sceptre de fer veut être gouverné ;
Que, s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime :
Ainsi de piége en piége, et d’abîme en abîme,
Corrompant de vos mœurs l’aimable pureté,
Ils vous feront enfin haïr la vérité,
Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage.
Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ;
Que, sévère aux méchants, et des bons le refuge,
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge ;
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.

JOAS.

Je promets d’observer ce que la loi m’ordonne.
Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne.

JOAD.

Venez : de l’huile sainte il faut vous consacrer ;
Paraissez, Josabeth : vous pouvez vous montrer.


Scène IV.

JOAS, JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, AZARIAS, ISMAËL, les trois autres chefs des lévites, le chœur.
JOSABETH, embrassant Joas.

Ô roi, fils de David !