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JOAS.

Ô Roi, fils de David ! Ô mon unique mère !
Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.

JOSABETH, à Zacharie.

Aux pieds de votre roi, prosternez-vous, mon fils.

(Zacharie se jette aux pieds de Joas.)
JOAD, pendant qu’ils s’embrassent.

Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis !

JOSABETH, à Joas.

Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ?

JOAS.

Et je sais quelle main sans vous me l’eût ravie.

JOSABETH.

De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer.

JOAS.

Joas ne cessera jamais de vous aimer.

LE CHŒUR.

Quoi ! c’est là…

JOSABETH.

Quoi ! c’est là… C’est Joas.

JOAD.

Quoi ! c’est là… C’est Joas. Écoutons ce lévite.


Scène V.

JOAS, JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, AZARIAS, ISMAËL, les trois autres chefs des lévites, un lévite, le chœur.
UN LÉVITE.

J’ignore contre Dieu quel projet on médite ;
Mais l’airain menaçant frémit de toutes parts ;
On voit luire des feux parmi des étendards,
Et sans doute Athalie assemble son armée :
Déjà même au secours toute voie est fermée ;
Déjà le sacré mont où le temple est bâti
D’insolents Tyriens est partout investi ;
L’un d’eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre
Qu’Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.

JOSABETH, à Joas.

Cher enfant, que le ciel en vain m’avait rendu,
Hélas ! pour vous sauver j’ai fait ce que j’ai pu :
Dieu ne se souvient plus de David votre père !

JOAD, à Josabeth.

Quoi ! vous ne craignez pas d’attirer sa colère
Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ?
Et quand Dieu, de vos bras l’arrachant sans retour,
Voudrait que de David la maison fût éteinte,
N’êtes-vous pas ici sur la montagne sainte
Où le père des Juifs[1] sur son fils innocent
Leva sans murmurer un bras obéissant,
Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,
Laissant à Dieu le soin d’accomplir sa promesse ;
Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
Tout l’espoir de sa race, en lui seul renfermé ?
Amis, partageons-nous : qu’Ismaël en sa garde
Prenne tout le côté que l’Orient regarde ;
Vous, le côté de l’Ourse ; et vous, de l’Occident ;
Vous, le Midi. Qu’aucun, par un zèle imprudent,
Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite,
Ne sorte avant le temps, et ne se précipite ;
Et que chacun enfin, d’un même esprit poussé,
Garde en mourant le poste où je l’aurai placé.
L’ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
Comme de vils troupeaux réservés au carnage,
Et croit ne rencontrer que désordre et qu’effroi.
Qu’Azarias partout accompagne le roi.

(à Joas.)
Venez, cher rejeton d’une vaillante race,

Remplir vos défenseurs d’une nouvelle audace ;
Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir,
Et périssez du moins en roi, s’il faut périr.

(à un lévite.)
Suivez-le, Josabeth. Vous, donnez-moi ces armes.
(au chœur.)
Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes.

Scène VI.

SALOMITH, le chœur.
TOUT LE CHŒUR chante.

Partez, enfants d’Aaron, partez :
Jamais plus illustre querelle
De vos aïeux n’arma le zèle.
Partez, enfants d’Aaron, partez :
C’est votre roi, c’est Dieu pour qui vous combattez.

UNE VOIX seule.

Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu, dans ton juste courroux ?
N’es-tu plus le Dieu jaloux ?
N’es-tu plus le Dieu des vengeances ?

UNE AUTRE.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
Dans l’horreur qui nous environne,
N’entends-tu que la voix de nos iniquités ?
N’es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

TOUT LE CHŒUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?

UNE VOIX seule.

C’est à toi que dans cette guerre
Les flèches des méchants prétendent s’adresser.
« Faisons, disent-ils, cesser
« Les fêtes de Dieu sur la terre ;
« De son joug importun délivrons les mortels ;
« Massacrons tous ses saints ; renversons ses autels,
« Que de son nom, que de sa gloire
« Il ne reste plus de mémoire ;
« Que ni lui ni son Christ ne règnent plus sur nous. »

  1. Abraham. (Note de Racine.)