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ANDROMAQUE

Scène II.

HERMIONE, ORESTE, CLÉONE.
HERMIONE.

Le croirai-je, Seigneur, qu’un reste de tendresse
Vous fasse ici chercher une triste princesse[1] ?
Ou ne dois-je imputer qu’à votre seul devoir
480L’heureux empressement qui vous porte à me voir ?

ORESTE.

Tel est de mon amour l’aveuglement funeste,
Vous le savez, Madame ; et le destin d’Oreste
Est de venir sans cesse adorer vos attraits,
Et de jurer toujours qu’il n’y viendra jamais.
485Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,
Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures :
Je le sais, j’en rougis. Mais j’atteste les Dieux,
Témoins de la fureur de mes derniers adieux,
Que j’ai couru partout où ma perte certaine
490Dégageoit mes serments et finissoit ma peine.
J’ai mendié la mort chez des peuples cruels
Qui n’apaisoient leurs dieux que du sang des mortels :
Ils m’ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares
De mon sang prodigué sont devenus avares[2].
495Enfin je viens à vous, et je me vois réduit
À chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.

  1. Var. Ait suspendu les soins dont vous charge la Grèce ? (1668 et 73)
  2. « Oreste, dit Geoffroy dans son commentaire, n’avait point mendié la mort chez les Scythes ; il avait été jeté par la tempête sur leurs rivages. Les Scythes ne lui avaient point fermé leur temple ; il s’en était sauvé, enlevant la statue et la prêtresse. S’il eût offert son sang aux Scythes, ils ne l’auraient pas refusé. » Il pense donc qu’Oreste débite un mensonge pour se faire valoir auprès d’Hermione. Nous ne saurions le contredire, n’ayant trouvé aucune tradition antique sur laquelle Racine se soit ici appuyé. Peu importe d’ailleurs.