Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/321

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Madame, il faut quitter la Cour & l’Empereur.

AGRIPPINE.

Quoy du ſang de ſon Frere il n’a point eu d’horreur ?

BURRHUS.

Ce deſſein s’eſt conduit avec plus de myſtere.
A peine l’Empereur a veu venir ſon Frere,
Il ſe leve, il l’embraſſe, on ſe taiſt, & ſoudain
Ceſar prend le premier une coupe à la main.
Pour achever ce jour ſous de meilleurs auſpices,
Ma main de cette coupe épanche les premices,
Dit-il, Dieux, que j’appelle à cette effuſion,
Venez favoriſer noſtre reünion.
Par les meſmes ſermens Britannicus ſe lie,
La coupe dans ſes mains par Narciſſe eſt remplie,
Mais ſes levres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de ſi puiſſans efforts
Madame, la lumiere à ſes yeux eſt ravie,
Il tombe ſur ſon lit ſans chaleur & ſans vie.
Jugez combien ce coup frappe tous les eſprits.
La moitié s’épouvante, & ſort avec des cris.
Mais ceux qui de la Cour ont un plus long uſage
Sur les yeux de Ceſar compoſent leur viſage.
Cependant ſur ſon lit il demeure penché,
D’aucun eſtonnement il ne paroiſt touché.
Ce mal dont vous craignez, dit-il, la violence
A ſouvent ſans peril attaqué ſon enfance.
Narciſſe veut en vain affecter quelque ennuy,
Et ſa perfide joye éclate malgré luy.
Pour moy, dûſt l’Empereur punir ma hardieſſe,
D’une odieuſe Cour j’ay traverſé la preſſe,
Et j’allois accablé de cét Aſſaſſinat
Pleurer Britannicus, Ceſar & tout l’Eſtat.

AGRIPPINE.

Le voicy. Vous verrez ſi c’eſt moy qui l’inſpire.