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TRAGEDIE.

Je l’eſtois. Mais ſur tout, j’eſtois né pour régner,
Et je pers beaucoup moins que je ne crois gaigner.
Le nom de Pere, Attale, eſt un titre vulgaire,
C’eſt un don, que le Ciel ne nous refuſe guere,
Un bon-heur ſi commun n’a pour moy rien de doux.
Ce n’eſt pas un bonheur s’il ne fait des jaloux.
Mais le Troſne eſt un bien dont le Ciel eſt avare,
Du reſte des Mortels ce haut rang nous ſepare,
Bien peu ſont honnorez d’un don ſi pretieux,
La Terre a moins de Roys que le Ciel n’a de Dieux.
D’ailleurs tu ſçais qu’Hémon adoroit la Princeſſe,
Et qu’elle eut pour ce Prince une extréme tendreſſe,
S’il vivoit, ſon amour au mien ſeroit fatal,
En me privant d’un Fils le Ciel m’oſte un Rival.
Ne me parle donc plus que de ſujets de joye,
Souffre qu’à mes tranſports je m’abandonne en proye,
Et ſans me rappeller des Ombres des Enfers,
Dy moy ce que je gaigne, & non ce que je perds.
Parle-moy de regner, parle-moy d’Antigone,
J’auray bien-toſt ſon cœur, & j’ay dé-ja le Troſne ;
Tout ce qui s’eſt paſſé n’eſt qu’un ſonge pour moy,
J’eſtois Pere & Sujet, je ſuis Amant & Roy.
La Princeſſe & le Troſne ont pour moy tant de charmes.
Que… mais Olympe vient.

ATTALE.

Que… mais Olympe vient. Dieux ! elle eſt toute en larmes.