Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/10

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fait : les instruments bourrés de billon continuent leur charivari, le pavé retentit, martelé par les sabots, et la gamme chromatique de rumeurs qui accompagne d’ordinaire toute bande de gamins en liesse, renforcée de l’aboiement des chiens qui se mêlent familièrement à la cérémonie, couvre presque le bruit du tambour. Néanmoins ce dernier reproduit avec une persévérance méritoire la moins variée de ses batteries. — Dès qu’une ménagère se montre au seuil de sa porte, soutenant avec peine quelque opulente pièce de boucherie, le cortége s’arrête, une chamade du tambour rassemble la foule, un ban salue la riche aumône ; le coryphée, élevant son sceptre enrubanné, vocifère trois fois, de toute la vigueur d’un larynx de métal : Eguin an eit, potret !Eguin an eit ! hurle l’assistance ; et cette fois il nous semble convenable d’adopter la phrase bretonne que nous traduirons ainsi : « La moisson germe pour vous, garçons ! » En effet on prélève le soir, sur la recette de la matinée, les frais d’une collation qui doit, à l’hospice civil, rassembler autour de la même table la bande des jeunes quêteurs. De distance en distance on fait un accueil pareil aux différents dons. L’allégresse est générale ; seuls les pauvres chevaux, qui s’en vont imprimant aux lourds mannequins un régulier mouvement de roulis, semblent supporter, sinon avec mauvaise grâce, du moins avec une douloureuse résignation, le poids de la charité publique.

Il y a peu d’années que les notables de la ville, délégués pour se joindre au cortége, le plateau d’argent du quêteur à la main, enlevaient subrepticement des maisons où ils pénétraient les vivres suspendus aux crocs des offices ; cette manœuvre surannée était toujours applaudie avec un égal