Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/26

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remplissent les hautes cimes environnantes de roucoulements et de frissons d’aile. Au pied de ces arbres, où la vie murmure dans la séve, s’épanouit sur les rameaux, palpite, bourdonne et jaillit en fusées joyeuses du feuillage, des pierres tombales incrustent leurs rectangles au milieu des gazons, d’où surgissent aussi des croix de pierre, frustes et mutilées ; puis, un peu plus loin, en dehors du petit mur qui entoure ce cimetière aujourd’hui abandonné, un auvent d’ardoises posé sur des poteaux abrite une table où, près d’un tronc, se tient debout, crosse en main, mitre en tête, sculptée à coups de hache et badigeonnée à coups de balai, une image de saint Éloi, dont la benoîte physionomie réveille naturellement dans l’esprit le vieux refrain auquel le conseiller du bon roi Dagobert doit bien plus qu’à son énergie de ministre, l’éclat de sa popularité.

Le 23 juin 1853, nous assistions, des hauteurs de Saint-Éloi, à la dernière lutte des vapeurs nocturnes contre la lumière, et au triomphant lever du soleil, qui, après avoir refoulé les moelleuses courtines roses de son lit d’or, remplissait l’orient de gerbes éclatantes. — Bien que l’intérêt que nous prenions à ce spectacle nous procurât une fois encore la satisfaction de nous reconnaître au moins cette communauté de sentiments avec ceux qui furent toujours vertueux, il faut pourtant avouer que ce n’était pas précisément pour voir lever l’aurore que nous étions venus là. Connaissant l’intérêt que tu portes aux scènes du pays de ton enfance, je voulais te signaler une cérémonie curieuse dont Saint-Éloi est chaque année le théâtre à la même époque ; seulement, grâce à un excès de zèle qui