Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/27

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nous avait fait devancer l’heure de cette cérémonie, nous avions joui d’un spectacle qui ne nous a pas encore blasé ; et nous pouvions en outre parcourir du regard le pays d’alentour, où commençait à se produire le mouvement qui bientôt devait accaparer notre attention. La matinée était radieuse et nous promettait un de ces jours favorisés du ciel, trop rares en basse Bretagne pour n’être pas à eux seuls déjà de véritables fêtes. Sous nos yeux se développait un vaste paysage inondé de lumière blonde. Le trèfle incarnat y jetait des tapis de pourpre, des foins à demi fauchés embaumaient l’air, et des fermes, dont la plus considérable, qui envahit de ses cultures une plaine aride, garde, par antiphrase sans doute, le nom de Loc ar brug[1], étalaient des champs de blé d’un vert, à faire naître dans l’âme les plus consolantes espérances après une année de disette. À l’opposite, les genêts et les landes s’étendaient si chargés de fleurs d’or, que Jupiter se rendant chez Danaé ne dut pas marquer plus brillamment sa trace. À toutes les distances, jusqu’aux confins de l’horizon, des « clochers silencieux montrant du doigt le ciel », suivant l’heureuse expression d’un poëte, marquaient les villes et les villages du pays de Léon et de Cornouailles. Trois d’entre eux s’élevaient près de nous : celui de Ploudaniel, si svelte avant d’avoir été décapité par la foudre, la tour trapue de Lesneven et la flèche élancée de l’église du Folgoët, cette petite merveille de l’art du quatorzième siècle, qui malheureusement laisse pleuvoir chaque jour, comme un arbre ses fruits mûrs, quelque fin joyau de sa

  1. Lieu de la bruyère.