Page:Radiguet - Souvenirs, promenades et rêveries, 1856.djvu/40

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rapide, déroulaient un instant, comme une guirlande embrasée, leur ronde joyeuse autour du feu, et repartaient en toute hâte pour se livrer au même exercice devant un autre bûcher ; si elles réussissaient à en visiter neuf, l’année ne devait point s’écouler sans qu’il se présentât pour elles un épouseur ; là enfin des mains pieuses rangeaient près du feu des bancs destinés aux défunts chéris ; puis, parcourant, avec une pression légère, toute la longueur des joncs fixés aux parois d’un large bassin de cuivre, elles arrachaient au métal de plaintives et lugubres vibrations que le vent de la nuit portait jusqu’au cimetière ; les morts tressaillaient à cet appel, et venaient, invisibles, s’asseoir à la place préparée pour y réchauffer leurs membres engourdis par le froid du sépulcre.

On accepte généralement aussi comme un augure favorable d’occuper, dans la zone lumineuse du foyer, le point indiqué par l’extrémité de la perche couronnée de fleurs, quand, rongée à la base, elle se couche sur le sol en aiguille de cadran. À ce propos, un souvenir traverse notre mémoire, comme éclairé par le plus mélancolique reflet de ce feu nocturne. — Au nombre des spectateurs, pour la plupart gens de la campagne, aux types rudes et vulgaires, se trouvait une jeune fille dont le visage avait cet éclat saisissant que semble pouvoir dispenser seule une origine méridionale. Nul autour d’elle ne paraissait y prendre garde : car ce franc vermillon des jeunesses florissantes, que les paysans considèrent, peut-être avec raison, comme la condition essentielle de la beauté, ne colorait point sa joue. Elle était pâle, même sous la lueur vermeille qui l’éclairait, et cette pâleur