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LA GRANDE PEUR

avant, avec des barbes pas rasées, des cheveux pas coupés ; et il y avait toujours ce même grand beau temps posé tout autour d’eux, là-haut, sur les arêtes, où on voyait les aiguilles, les tours, les pointes, les cornes, les dents, être peintes de soleil, être roses, puis être dorées, puis être roses de nouveau.

Ce soir-là encore, ils ont fait grand feu, quoiqu’ils fussent presque au bout de leur provision de bois, et ils sentaient bien qu’ils n’auraient pas la force de la renouveler, parce qu’il leur aurait fallu pour cela descendre à la forêt, de sorte qu’une de ces prochaines nuits ils n’auraient même plus la protection de la flamme ; mais ils l’avaient encore pour le moment, et ils ne pensaient pas plus loin.

Ils se tenaient autour du foyer, fortement éclairés ce soir-là encore, une des dernières fois, avec leurs barbes de quinze jours, leurs cheveux longs, leurs yeux qui étaient devenus trop grands, une couleur de peau comme celle de la terre sèche, comme celle de la terre quand il n’a pas plu depuis longtemps.

Ils étaient là, ce soir encore, après tant de