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LA MAISON DES BORIES

Bien que Laurent ne trouvât pas la plaisanterie très spirituelle, il rit bruyament, par politesse. Il sentait qu’il devait beaucoup d’égards à Ludovic, un homme qui savait tant de choses et qui voulait bien l’honorer de son amitié.

Entre Sa Gentille, c’est-à-dire le Bon Dieu sur la terre, et Amédée, c’est-à-dire l’incarnation de tout ce que le monde peut contenir d’énigmatique et d’hostile, Ludovic industrieux, avisé, plein d’expérience, représentait pour Laurent un modèle viril. « Un fameux modèle, » pensait le petit garçon, qui aurait donné six mois de sa vie pour savoir seulement siffler comme lui, mais il avait beau s’exercer, il n’arrivait qu’à se cracher dans les doigts. Isabelle avait poussé des cris indignés, le jour qu’elle l’avait surpris dans ces exercices :

— Comme les voyous ! Quelle horreur ! C’est encore Ludovic qui t’a appris ça ! Je te défends de jouer avec lui, tu m’entends ? Il est brutal et sournois et tu deviendras comme lui si tu le fréquentes.

Alors il tâchait d’éviter Ludovic, soupirant de cette interdiction, de ce jugement incompréhensible porté sur un homme aussi remarquable. Mais puisque Sa Gentille l’avait dit… Ludovic faisait mine de ne rien voir et ne parlait plus à Laurent qu’à la troisième personne, avec une déférence excessive et gouailleuse. À la fin, le petit garçon n’y tenait plus. Il s’échappait, courait rejoindre Ludovic à l’écurie, bégayant de colère et d’humiliation :

— Je… je… si tu, tu… tu me p-parles encore comme ça…

Ludovic prenait un air étonné et respectueux, plissait son front de singe intelligent :

— Quoi donc, Monsieur Laurent ? Monsieur Laurent n’est pas content de son domestique ? Monsieur Laurent va lui donner ses huit jours ?

— C’est — c’est pas vrai, bégayait Laurent, les