Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
LA MAISON DES BORIES

larmes aux yeux. D’a-d’abord, moi, moi aussi, je veux être un do-domestique…

Alors Ludovic le saisissait brusquement dans ses bras, l’enlevait en l’air, approchait son visage tout près de celui de l’enfant en marmottant : « Oh ! toi, toi… », les dents serrées, avec une expression qui ressemblait à de la colère et qui n’en était pas, car ses yeux brillaient et souriaient, et Laurent, tout interdit de cette explosion, n’osait pas détourner la tête, bien qu’il eût horreur qu’on lui soufflât dans le nez. Ludovic le regardait ainsi un moment de tout près, puis le reposait sur le sol en murmurant d’une voix changée :

— T’es un drôle de petit pointu. Viens, on va faire le boire à Bichette.

Quelquefois, après qu’ils avaient fait la paix de cette manière, on entendait arriver les filles, qui couraient en appelant Laurent. Ludovic fermait vivement la porte de l’écurie : « Laisse-les courir. T’as pas besoin d’être tout le temps fourré avec les filles. C’est bête, une fille, ça sait rien faire. Toi, t’es un homme. » Tout flatté qu’il fût d’être un homme, Laurent sentait se rebiffer l’orgueil du clan :

— Celles-là sont pas comme les autres, mon vieux. Elles « chougnent » jamais quand elles tombent. Pis d’abord, c’est moi qui les ai élevées…

Mais dès qu’il entendait la voix d’Isabelle : « Laurent, où es-tu donc ? » le petit garçon tressaillait, filait entre les doigts de Ludovic comme un furet. Et le valet, resté seul, grommelait des injures et crachait de dépit dans la mangeoire.

— Alors, demanda Laurent, il reste encore demain, l’étranger ? Encore demain et combien de jours ?

— Aussi longtemps que papa voudra.

— Tu permets que je t’aide ?

— Si ça te fait plaisir… consentit Ludovic d’un air blasé en lui passant le plumeau.