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LA MAISON DES BORIES

vaillait à répéter trois syllabes, trois coups de marteau patients, obstinés, pour éveiller les souvenirs ensevelis, de l’autre côté du mur :

— Lu-do-vic… Lu-do-vic…

Tout à coup, l’image de Ludovic répondit à son nom et le mur tomba. En même temps il entendit dans sa mémoire les paroles d’Isabelle qu’il avait enregistrées tout à l’heure sans les comprendre. Ludovic était étendu mort sous le hêtre, son revolver à la main. Comment il se trouvait là, peu importait. L’important, c’était la leçon éblouissante qui s’en dégageait pour lui : son crime lui était remis, la vie recommençait, comme avant. Et sa victime ne mourrait pas.

— Ah ! s’écria-t-il en renversant le front sous l’averse, je puis donc encore être heureux !

Ce cri bouleversa Isabelle. Qu’il était enfant !

— Dites-moi ce que je dois faire, pour réparer. J’irai soigner votre mari, je demanderai son pardon…

— Avez-vous tout à fait perdu la tête ?

— Alors quoi ? demanda-t-il déconcerté.

— Vous allez prendre le premier train pour Paris. De là, vous écrirez à mon mari qu’une cause quelconque vous rappelle dans votre pays. Si vous pouvez y retourner, en effet, cela vaudra beaucoup mieux pour tout le monde.

— Mais… vous ? Comment vous reverrai-je ?

— Il vaut beaucoup mieux ne pas me revoir.

— C’est impossible, balbutia-t-il en pâlissant.

Elle ne répondit pas et il sut que dans son esprit c’en était fait, qu’elle avait décidé de ne le revoir jamais. L’inutilité de sa révolte le découragea d’avance de tenter le moindre effort. Ainsi, à douze ans, il avait voulu se laisser mourir de faim après avoir compris ce qu’était la mort.

— M’écrirez-vous ? demanda-t-il très bas.

— À quoi bon ?

— Ainsi, ce sont des adieux ?