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LA MAISON DES BORIES

Elle inclina la tête, gravement.

— Ne voulez-vous pas au moins arrêter un instant ? Il me semble… Ah ! j’avais tant de choses à vous dire…

— Y songez-vous ? dit-elle violemment. Vous oubliez tous ceux qui m’attendent, à la maison.

À la maison… Elle allait remonter tout à l’heure à la maison, sans lui qui n’y entrerait plus jamais. Il ne pourrait plus jamais dire la maison en parlant de cette maison des Bories, la seule qui fût pour lui, vraiment, la maison.

Le désespoir lui serra la gorge. Tout l’abandonnait. Il avait cru s’offrir en holocauste et ne conservait que le remords d’un crime inutile. Il avait cru délivrer cette femme d’un cauchemar et elle retournait d’elle-même à ce cauchemar. Il avait cru gravir un sommet et voilà qu’il retombait dans la nuit, plus incertain que jamais, privé d’amour, désespéré, doutant même des raisons de son geste, qu’il avait cru si pur. Immolation ou traîtrise ? Sacrifice d’un amant idéal ou coup de couteau d’un Napolitain jaloux ? Ce prétendu simulacre, ce « mort », c’était tout de même le mari, — un mari bien vivant. Pourquoi donc ne s’était-il pas tué immédiatement, quand il l’avait vu tomber, comme il s’était promis de le faire. Était-il autre chose qu’un lâche convoiteux ? Et s’il aimait Isabelle d’un amour vraiment désintéressé, pourquoi tant d’amertume contre elle, parce qu’elle l’écartait de sa vie ? Non, rien ne valait la peine d’exister. Boue et sang, tout n’était que boue et sang. Qu’attendre d’un tel monde ?

Les grondements de l’orage s’éloignaient par vastes bonds, au-dessus des champs noyés. La pluie tombait encore, en fine vapeur rousse dans le halo des lanternes.

— Il faudra nous quitter à l’entrée de Chignac, dit Isabelle. J’irai tout de suite chez le médecin et de là à la gendarmerie.