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LA MAISON DES BORIES



À l’annonce de la nouvelle, assez attendue d’ailleurs, Amédée montra une satisfaction sincère. Un enfant, cela consolidait l’armature du mariage. Il était normal, logique, il était rassurant d’avoir un enfant. À + B = C. « Je suis bien content, Isabelle. Si c’est un fils, comme je l’espère, nous l’appellerons Laurent. »

Isabelle sourit, d’un sourire réticent. Elle est paisible, active. Elle a acquis spontanément une notion précise du temps et ses gestes sont calculés selon une économie instinctive qui lui permet d’accomplir dans chaque journée le maximum de travail. Et tandis qu’elle prépare berceau, layette, la tête lui bourdonne et le cœur lui tremble comme à ceux qui préparent un beau voyage et nourrissent leur fièvre en lisant des noms de villes sur la carte.

L’enfant naît. C’est un fils et on l’appelle Laurent. C’est parfait. À + B = C. Mais A n’avait pas prévu que C aurait un gosier pour crier, des gencives douloureuses, un ventre capricieux, une voix perçante qui déchire le sommeil, cependant que B bondit hors des draps et commence, dans la chambre voisine, une promenade à pieds nus entrecoupée d’une chanson tendre.

Il n’avait pas prévu, surtout, que la mère naîtrait en même temps que l’enfant. Isabelle a enfanté Laurent, mais Laurent a enfanté une seconde Isabelle. Amédée reste interdit devant ce phénomène semblable, en petit, à l’apparition d’un continent. Une nouvelle nature a surgi, aussi nette, aussi définie qu’un diamant taillé. Elle en a le tranchant, la décision, l’éclat. D’où lui vient cette assurance ? Pourquoi le rythme de sa vie s’est-il accéléré ? Mille fois plus prompte qu’auparavant, elle répond : « Je n’ai pas le temps, » à tout ce qu’on lui propose de faire, qui