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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/202

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TROIS PARMI LES AUTRES

il qu’elle payât le coiffeur ? Non, sans doute. Comme ce serait gênant de le voir sortir son portefeuille pour payer cette opération…

La pudeur de l’argent qui l’avait toujours fait souffrir éveillait en elle une pudeur plus intime. Elle était pleine d’appréhension, d’un dégoût sans objet, d’un besoin de révolte, et cependant elle savait bien qu’elle finirait par céder. La complexité de ces impressions lui hachait l’âme. Était-ce ridicule 1

Robert, debout et souriant, laissait tomber sur elle son regard volontaire qu’il s’efforçait d’adoucir — et toute son attitude signifiait :

— J’attendrai jusqu’à ce soir s’il le faut, mais vous en passerez par où je veux… ma chérie !

Annonciade leva les paupières et son angoisse se résuma dans un cri :

— Oh ! Robert, si je suis laide, après…

Il se pencha un peu et le rayon bleu de ses prunelles balaya lentement le visage apeuré :

— Laide, c’est impossible, murmura-t-il d’une voix sourde et grave. Et le seriez-vous, que je vous aimerais quand même.

Annonciade éblouie entra dans la boutique.

Assise dans le fauteuil du coiffeur elle sentait ses mains moites, ses genoux amollis et son cœur nager faiblement dans une immensité lointaine. Elle se répétait : « Est-ce ridicule ! pour si peu de chose ! » sans se rendre compte que sa sensibilité affinée était capable de mystérieuses équivalences, et qu’en ce moment, les yeux fixés sur un visage autoritaire et un peu ému, lui aussi, elle devenait femme.

Elle avait fermé les yeux, tandis que les ciseaux