Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/163

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celle et lui donnai quelques quadrini. Alors, comme un chant monta des lèvres du mendiant :

Non humaines vraiment, mais divines
Étaient leur marche et leurs saintes paroles.
Ah ! bienheureux qui naît pour un tel destin !

Je le regardai. Il était jeune encore. Il avait de grands yeux bleus doux et effarés, des cheveux blonds tombant droits, par touffes, sur son visage, un nez à recevoir la pluie du ciel, surplombant une bouche énorme et un petit menton écrasé.

— Sainte Vierge, dis-je, mon ami, que tu es laid !

Mais voyant ses paupières retomber sur ses yeux tristement et son visage se contracter comme s’il allait pleurer :

— Console-toi, fis-je, si tu n’as pas une figure admirable, tu as la plus belle voix qu’on puisse entendre.

Il me répondit :

— Soyez sûre, madame, que ma voix ne me sert à rien, puisque depuis deux jours je n’ai pas mangé. Je suis pourtant docteur de l’Université de Padoue.

— Comment, c’est vrai, tu es docteur ? et tu sais dire les vers ?

— Je sais par cœur les vers des plus grands poètes, toscans, latins et grecs.

— Je me contenterais pour ma part d’apprendre les toscans, mais ne me trompes-tu pas ?

— Je jure sur la tête de ma mère que je dis la vérité.

— Oh ! quelle chance ! j’ai justement besoin d’un professeur. Eh bien ! je te prends chez moi et tu mangeras tous les jours.

Morosina m’adressa des observations graves et solennelles :