Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/204

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Se soutenant à peine, elles allèrent, dans la chambre voisine, se jeter sur le tapis couvert de pelures de pommes, où elles avaient goûté l’après-midi.

En ce moment, la salle fut envahie par une foule brillante, et Fasol, enveloppé d’un manteau de pourpre, s’avança vers moi, avec la tranquille et heureuse majesté d’un dieu qui consent, de temps à autre, à regarder la terre.

Il ne se doutait point du trouble amoureux qui m’avait chassée de la scène, et croyait plutôt, de ma part, à une timidité, à un oubli de rôle ou à quelque subite terreur des planches. Il me dit :

— Vénus, madame, vous en veut donc bien de surpasser ses grâces, qu’elle n’a pu souffrir que s’achevât votre triomphe. Vengeance misérable ! en vous enlevant sitôt à nos acclamations, c’est nous seuls qu’elle a frappés, car elle n’a fait qu’abréger notre plaisir, sans pouvoir vous ravir ces couronnes, que déjà nous vous avions toutes données.

Tandis qu’il me parlait, je me remettais peu à peu, touché de la musique flatteuse de sa voix. Depuis le matin je vivais au milieu d’un tourbillon, dans un monde si varié, si plein de choses qu’il ne me semblait pas réel, et voici qu’une nouvelle émotion chassait les autres, et qu’en écoutant les louanges du grand artiste, en présence de son galant cortège, je m’abandonnais toute à la joie de me sentir admirée.

Cependant, sur la scène, le bruit ne cessait pas.

— Allez donc voir ce qui se passe, dit Fasol à un valet.

L’homme revint un instant après.

— C’est, fit-il, Arrivabene, le moine du cardinal, qui s’est avisé de représenter une farce de son cru après les comédies. Les musiciens, trouvant la bouf-